Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

mercredi 18 juillet 2007

2001, c'est si loin déjà...


Je m'exaltais hier après-midi à l'idée de montrer le film de Kubrick à ce tout jeune homme, de ma famille pour ainsi dire, qui aime tant, cet été, voir des films sur mon écran presque géant vu les dimensions du salon.
J'avais refait quelques réglages, THX Optimizer en mètre-étalon, réinitialisé puis patiemment recalibré le son de l'ampli multicanaux : ce film, pensai-je, vaut qu'on le présente dans les meilleures conditions.
Un excellent auteur-réalisateur de ses connaissances lui avait dit la veille, d'ailleurs, que 2001 ne pouvait se voir que sur grand écran.
Evidemment ; comme "Lawrence" et tant d'autres films conçus pour être projetés sur les écrans démesurés des "Gaumont Palace" et des "Empire" que la télévision a tués.
Comme à chaque fois quand je montre un film que j'aime à un "novice", je scrute la première réaction sur le visage de l'impétrant quand je rallume progressivement la pièce.
Là, j'ai bien senti l'impatience, l'ennui pendant les 140' de projection, à ces signes qui ne trompent pas, ces étirements sur le canapé, l'entr'acte si bien venu...
Le verdict tombe sans appel et logiquement de la part d'un représentant d'une génération gavée d'effets spéciaux depuis le berceau.
Pour lui, normal, c'est de la préhistoire, un film sans "action", le passage "psychédélique" est ridicule, etc.
Comme je n'ai pas affaire à un imbécile, j'argumente de tout mon poids, moi qui trouve le film encore étonnamment "moderne", qui me souviens qu'à l'époque de la sortie n'existaient en ce payus que deux chaînes de télévision en noir et blanc et qu'il faudrait qu'une année s'écoule pour que l'homme mit le pied sur la lune.
Je souligne en pure perte la splendeur des décors, l'acuité des cadrages, m'empêtre dans "mes" explications sur la portée philosophique de l'oeuvre ; mais la messe est dite, avec humilité cependant ("il faudra que je le revoie dans quelques années"), car mon hôte n'est pas de ces jeunes gens bardés de certitudes qu'on croise généralement par ici.

Le hasard étant ce qu'il est, arrivé presque à la fin du livre de Frédéric Mitterrand dont je parlais il y a peu, je m'arrête sur ce passage où l'auteur observe les réactions de deux jeunes garçons qu'il a emmenés voir "Quand j'étais chanteur" dans la grande salle du Palais des Festivals :

[...] S'il est difficile de se résigner au fait que des garçons de cet âge n'aiment pas le cinéma et ne s'intéressent pas à son histoire, ce n'est pas avec un film pareil que je pourrais les faire changer d'avis.
Ils appartiennent au temps du clip, du zapping et du téléchargement sur ordinateur, les images qu'ils regardent sont interchangeables et n'ont ni passé ni origine, même le porno ne retient que distraitement leur attention, ils ne vont dans les salles que pour être en bande et se gorger de films d'action qui enfilent les scènes de poursuites et d'explosions ou de comédies débiles avec des amuseurs formatés par la télévision, ils les oublient très vite et ne retiennent que les noms des stars éphémères lorsqu'elles passent dans des reportages de promotion commentés par des voix abominables, des émissions de rigolade d'une vulgarité offensive où ils préfèrent d'ailleurs les animateurs, les footballeurs et les chanteuses, le noir et blanc leur semble préhistorique, l'idée qu'on puisse éprouver des sentiments et des émotions plutôt qu'une distraction passagère et qu'une foule de gens se soient donné un mal de chien pour réaliser un long métrage leur paraît insolite et au fond peu encourageante.[...]
Frédéric Mitterrand - Le festival de Cannes / Robert Laffont éd.

On ne peut mieux résumer ma pensée.
Mais mon invité d'hier soir, dès que j'entre dans ces considérations, me rassure et se dit conscient de tout cela.
C'est un (bon) début.

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