Notre époque frénétique et désordonnée n'a plus la chance d'avoir un Chaplin en bulles d'oxygène réconfortant.
Pour répliquer à qui me disait l'autre soir que la notion de "chef-d'oeuvre" est forcément subjective (ah, jeunesse qui se cherche !), je dirai que la beauté s'impose à qui sait ouvrir son coeur et, plus prosaïquement, sa matière grise, flattée le plus souvent par le "facile" qui engendre ce que l'on nomme "paresse intellectuelle".
Qu'au début du siècle dernier, le cinéma de Chaplin ait attiré les foules de par le monde, que l'immense petit homme ait été fêté en "star" (quel horrible mot, finalement !) aux quatre coins de la planète, qu'il ait côtoyé les plus humains d'entre nous (Ghandi...) ou les plus grands artistes de son temps, mais, surtout, qu'il ait touché au coeur le "métallo" de Boulogne comme le vacher du Texas, la petite modiste de chez Paquin comme la duchesse de Windsor, prouvera, si besoin est, que l'être humain est beaucoup moins idiot que ce qu'en pensent, aujourd'hui, les gens de télé (entre autres).
On a vu et revu autant de fois que nécessaire (ça l'est) ces "Lumières de la ville" (City Lights) qui hissent le cinéma au rang d'Art (le 7ème) absolu : Chaplin bossait comme un malade pour que ses idées (allez, disons-le, "géniales") se reflètent très exactement sur la toile blanche; ainsi, la scène de la première rencontre entre Charlot et la jolie aveugle a fait l'objet de dizaines de prises, le propre de l'artiste étant la recherche de la perfection.
"City Lights" est un film total qui nous émeut, fait parfois naître une larme (des torrents, même, pour les plus sensibles) et nous fait trépigner de rire à d'autres moments : la scène du match de boxe, réglée au millimètre comme un ballet, est d'une puissance comique inégalée.
Derrière les facéties de Chaplin se cache toute la misère du monde, celle qu'il connut dans les taudis de Londres, et sur laquelle il prit une revanche éclatante sans jamais renier ses idées profondément humanistes.
"City Lights", sans jamais céder à l'effet facile (tiens, encore !) reste, de rire en larmes, un moment de grâce, traversant le temps sans prendre une ride, comme la pietà de Michel-Ange ou le Jean-Baptiste du Caravage, comme un Moment Musical de Schubert ou le Roi des Aulnes de Goethe.
Je vous le concède : il faut sacrément aimer le cinéma pour oser la comparaison.
J'ose.
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