Le soir du 24 décembre, Paris en ses quartiers offre un aspect quelque peu lugubre : ainsi, parcourant le boulevard St Martin pour me rendre au théâtre vers huit heures du soir, avais-je l'impression d'errer en un véritable no mans land ; tout juste si je croisai le regard de ce SDF qui, depuis plusieurs années, habite une maison de carton près de la station Strasbourg-Saint Denis, noir visage familier qui refuse l’aumône et rentre dans sa coquille quand il m'arrive, par grands froids, de lui demander (et je persiste !) s'il n'a besoin de rien.
Le public du 24 au soir est d'une espèce rarissime qu'il est difficile d'identifier : pour lui, on se défonce encore plus, le présumant composé d'esseulés, de sans-famille, de réfractaires aux fêtes commerciales religieuses ou de provinciaux arrivés deux jours trop tôt et un peu désorientés.
Ils ont bien du mal à remplir un petit tiers de l'espace, méfiants au début, quand je suis censé "chauffer" la salle et les rassurer : oui, on va s'amuser (l'animateur que je suis doit afficher une bonne humeur communicative, même si, comme moi, ce genre de fête annuelle le rendrait plutôt morose).
Au bar, pendant que se déroule le spectacle, on se fait un petit Noël d'artistes avec grignotage et nectars divers : le Château Margaux de Camille, notre régisseur, est gouleyant à souhait, que je mélange allègrement à un Champagne Baron Albert en oubliant les préceptes (à la con ?) "rouge sur blanc, tout fout l'camp ; blanc sur rouge, rien ne bouge".
Evidemment, le petit réveillon amical d'après-spectacle a été décommandé et l'on rentre aux heures habituelles dans une plaine de Montmartre silencieuse comme en août, voire pire.
On s'offre un petit whisky et on sent sa main droite prendre sa main gauche , se surprenant à se dire en soliloque : "Joyeux Noël, tu sais que je t'aime, mon Sylvianou", paraphrasant un sketch féroce de Guy Bedos sur la solitude.
Il suffirait de trois fois rien pour qu'on écoute le Requiem de Fauré pour faire bonne mesure.
Heureusement arrivent deux messages sur le téléphone cellulaire qui donnent envie de faire des entrechats dans le salon et de chanter "Y'a d'la joie" : il est des mots-soleil qui vous réchauffent le cœur et l'âme.
On n'allume pas la télé(sans)vision, car on sait ce que l'on va y trouver : la messe de minuit et son vieux pape (un vin rouge à bas prix) ou les sempiternels "bêtisiers" décérébrants de fin d'année.
Le lendemain, jour de Noël, on prolongerait bien la conversation avec cette voix amie qui vous fait entrer si agréablement dans cette journée où l'on va retrouver un public plus nombreux que la veille qu'il faudra sortir des torpeurs de la digestion.
Le soir, autour d'un aligot, un fidèle "disciple", de passage à Paris, vient dissiper définitivement les petites amertumes de circonstances : on est flatté qu'il vous ait donné la priorité dans les visites parisiennes de son trop court séjour ; on discute de son avenir, de ses doutes, de ses atermoiements ; on prend ses confidences comme un cadeau... de Noël.
2 commentaires:
c'est beau mon Sylvano, Noël ça remue toujours quelque chose en nous lié probablement à notre enfance, quand on est nombreux en famille on oublie tout ça on se noie dans le bruit les rires les" à la tienne", mais on sait au fond de nous que cette belle innocence de l'enfance on ne la retrouvera jamais. Je t'aime à très vite. Chantal
Touché. Merci, ma sœur, à bientôt !
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