Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

mardi 16 novembre 2010

Offrez-vous une "Potiche" !

C'est avec une certaine méfiance qu'on se glisse dans la salle obscure pour se taper d'abord vingt longues minutes de pub : c'est ça, ou, vu l'affluence ce samedi après-midi, on est bon pour le premier rang.
L'assistance est disparate : familles de provinciaux en goguette pour le "pont" du 11 novembre, couples d'âge respectable, garçons sensibles, étudiants plutôt habitués aux films slovènes en noir et blanc du Quartier Latin (mais bon, Ozon, c'est jamais nul), un "panel représentatif", quoi, de la population...
Dès la scène d'ouverture tombent les a-priori : elle nous montre une Catherine Deneuve en jogging baguenaudant dans une nature disneyenne où ne manque que Bambi, drôlissime et attachante en femme de PDG, en bourgeoise-type des années 70.
On se prend à penser que, si le féminisme est passé par là, ces femmes-là n'ont guère changé.
La virtuosité de François Ozon, dans cette adaptation cinéma de la pièce de Barillet & Grédy où explosa, jadis, l'immense Jacqueline Maillan, réside, notamment dans l'utilisation en ironie des stéréotypes liés à cette époque dite "libérée", où les Ministres de Giscard (à l'Intérieur notamment) tentaient de redresser la barre contre le vent de liberté jailli de mai 68 et ce, en paradoxe, malgré les avancées indéniables dues à Neuwirth (la pilule contraceptive) ou, plus encore, à la légalisation de l'avortement obtenue contre les conservateurs par Simone Veil.
Le film, s'il provoque maints éclats de rires tout au long de la séance, est plus grave qu'il n'y parait, pour ces raisons sans doute, même si elles ne sont évoquées qu'au détour d'un (brillant) dialogue.
Pour le reste, on jubile tout au long de la projection de la manière dont l'époque est ici mise à l'écran : rien n'a été laissé au hasard, ni les décos outrancières des intérieurs bourges, ni les fringues hésitant entre "minets (ttes)" et "beatniks".
Cependant, et c'est à mettre à l'actif d'un Ozon soucieux de ne point trop en faire, rien n'est appuyé en lourdeur : c'est par des détails infimes (un téléphone, une bagnole), par petites touches, qu'il fait appel à la mémoire collective.
Le tour de force, c'est de concerner un public qui a vécu cette période (j'en suis) et de la montrer à une jeunesse d'aujourd'hui qui regrettera toujours de ne pas l'avoir vécue.
Le scénario, né du théâtre de boulevard, le bon, celui qu'on savait faire à l'époque d'"Au théâtre ce soir", genre aujourd'hui tombé dans une pitoyable médiocrité, est imparable, qui sait raconter une histoire qui se déroule sur fond de conflit social, en cette période où la "lutte des classes" faisait encore rage.
Ainsi, ce conflit entre possédants désireux de ne rien lâcher et ouvriers voulant tout et tout de suite était l'essentiel de "l'actu" interne du pays, à côté de laquelle les petites révolutions lycéennes et corporatistes d'aujourd'hui font pâle figure.
La métamorphose du personnage jouée par "la Deneuve" tout au long du film, projetée par un hasard bienvenu sur le devant de la scène sociale, est la "mécanique" essentielle de ce scénario, réussie au-delà des espérances.
Ozon fait de son film "de divertissement" un objet de réflexion, glissant ça et là quelques allusions au sarkozisme, pseudo-idéologie de rupture qui triompha le 6 mai 2007 de 20 h (les résultats) à 21 h (le Fouquet's), mais je m'égare...
Il y a donc une bonne histoire et des acteurs fichtrement à leur place : Deneuve à son meilleur, Depardieu en député communiste (pincez-vous !), Luchini en PDG despotique, seul, oh si seul, Judith Godrèche, leur fille, plus à droite tu meurs, et, sans doute la révélation (à 30 ans, après tant de bons films !) d'un Jérémie Rénier en évasion du cinéma des frères Dardenne, formidable en fils de famille-petit minet, revêtant les costumes bcbg et les postures étudiées d'un Clo Clo, alors idole des familles populaires et des jeunes filles en fleur.
Enfin faut-il redire combien on aime Karin Viard, une fois de plus parfaite en secrétaire-modèle harcelée ?
Pas une seconde de lassitude pendant que la toile s'allume de couleurs qui font penser au cinéma français dit "du samedi soir" des 70's, celui où l'on partageait les larmes d'Annie Girardot, les facéties de Pierre Richard (et de Depardieu, déjà !) ou les minauderies de Mireille Darc.
Exploit encore, Ozon ne lâche rien de ce qui fait son "style", la place qu'il occupe dans le paysage cinématographique français, à part, et les adeptes, eux, verront que cet opus n'est pas si éloigné des sulfureux "Amants criminels" ou de "Sitcom", même s'il se pare parfois des atours de "Huit femmes".
Doté d'une bande-son sur le mode ravivant le souvenir (judicieux choix que celui d'Il était une fois), d'une musique originale ad-hoc, plus, en cadeau final, une belle surprise que je ne dévoilerai pas,  "Potiche" est un cadeau au (grand) public.
Chapeau bas.

J.Godrèche, J.Rénier, C.Deneuve, Karine Viard

"Mal aimé, je suis le mal-aimé"...

Heureuses retrouvailles ?
Cette image suit une scène très "Hitchcock-Kim Novak" en fort beau clin d'oeil.


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