Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

vendredi 11 juillet 2008

A méditer :

Cette came, c’est la coke du peuple
Par Pierre Marcelle

Epiphanie de Betancourt

C’était il y a huit jours à peine, la liesse considérable de cette libération à laquelle il eût été inconcevable de ne pas spontanément adhérer, comme nous y fûmes courtoisement, certes, mais fermement sommés.

Sale journée pour les Cassandre, douteux par principe, pessimistes par profession, «chipoteurs» amateurs de «politique politicienne» - comme bafouillait dimanche le néocentriste Morin, ministre des ganaches, dans sa grammaire en treillis et sa syntaxe kaki. Commençaient alors d’affleurer ces questionnements dont Ségolène Royal, qui les relaya, apprendrait bientôt à ses dépens qu’ils n’étaient pas bienvenus. Au sein même de son Parti socialiste, ses bons camarades jetaient l’éponge avec plus ou moins de zèle ; eux aussi, sans doute, l’écrasant miracle les laissa cois ; leur silence acheva d’abandonner le terrain à un trouble consensus, de part et d’autre de l’Atlantique. Ainsi, moins d’une semaine après six années de captivité, l’ex-otage se découvrit-elle promue ambassadrice plénipotentiaire d’un jeu diplomatique encore illisible, catégorie Barbouzeries & plus si affinités, et promise aux plus extravagantes fonctions. Si, à cette heure, on ignore encore de quelle République, française ou colombienne, Ingrid Betancourt sera demain la présidente, son épiphanie aura balayé toutes les oppositions.

Il est étrange qu’en la République laïque, si peu de voix se soient étonnées d’un épilogue présenté sur l’unique registre d’une mystique. On a somme toute peu parlé du sens politique de cette femme qui fit ses dévotions au pourtant pas très catholique Alvaro Uribe, qu’elle accompagne en sa sondagière assomption. (A plus de 90 % d’opinions favorables pour l’ex-parrain de Medellín, il ne va pas faire bon être opposant, du côté de Bogotá ; ni non plus, dans la jungle, encore otage de ce qui reste des Farc.)

On parle par contre beaucoup de sainteté, à propos de cette «maman» qui, telle Jeanne d’Arc consacrant Charles VII à Reims, réduisit plus que jamais Nicolas Sarkozy, en son palais de l’Elysée, à la dimension d’un enfant de chœur garçon… Aussi bien ses pèlerinages multiples, ses chapelets portés avec l’ostentation d’un bracelet punk, son vœu de laisser pousser ses cheveux jusqu’à la libération de tous les otages tel un footballeur sa barbe jusqu’à la finale de la coupe, ses mots d’amour extatique et «orgies de baisers», son incestueux «Nirvana», entre sulpiciennes étreintes et doloristes minauderies, eussent-ils pu réveiller la figure sadomasochiste de l’extatique aliénée Thérèse d’Avila. Car la «came» que fredonne Carla Bruni-Sarkozy et qui se reniflera lundi sur les champs de coca élyséens, c’est décidément toujours ce bon vieil opium du peuple.

La Passion selon Pujadas

Rien n’illustra mieux cette ahurissante opération d’enfumage de l’opinion que le journal télévisé servi - oui, comme on sert la messe -, à l’occasion du retour de la dame en sa doulce France, par David Pujadas dans le 20 heures de F2. Ces cinquante minutes ininterrompues de promotion mariale pourraient constituer l’éloquente illustration, fût-ce sur le mode empirique, d’un audiovisuel dont «notre président» s’autoproclame déjà directeur des programmes. En attendant, elles consacrent, si j’ose dire, le triomphe absolu de certaine «information», façon Net, qui nous lamine le cortex mieux que TF1 et Coca-Cola réunis.

Paparazzi au paradis

Cinquante minutes d’Ingrid Betancourt, à quoi fut ce soir-là réduite l’actualité du monde, comme si l’écran du JT se devait d’en faire autant et plus, en matière de prise de tripes en otages, que les écrans du Net. Cette information cyclothymique à l’égal du temps présidentiel, la fameuse vidéo dite du «off de F3» l’illustra à l’envi : soit six minutes d’images volées d’un Sarkozy maugréant, flattant et suggérant, on ne sait trop qui ni à propos de quoi, avant son interview sur la «chaîne des régions» qu’il assassine. Près de deux millions de personnes eurent paraît-il la curiosité de visionner ces images dont, soit dit en passant, il ne nous choque pas que F3 se plaigne de leur trafic et recel. Rien pourtant là-dedans de signifiant, sinon à prétendre trouver du sens dans un hypothétique SMS («Si tu reviens, j’annule tout»)ou une sortie banalement intempestive («Casse-toi, pauvre con») attrapée dans un portable…

Et nous reviennent en mémoire ces autres images, dont Pierre Carles fit en 1998 un film, Pas vu, pas pris, qui mettait en évidence des connivences autrement probantes entre «décideurs» politico-médiatiques. Sur Carles, ce galeux «populiste» autant que Bourdieu son mentor, les médias confits en déontologie jetèrent un opprobre formidable. Dix ans après, les mêmes ne conçoivent plus de journalisme qui ne se nourrisse de coups émotionnels ou scandaleux, que Betancourt autant que Sarkozy aliment.

Amusant, non ? Non, pas vraiment…

N.B. A moins que le grand clic la croque, cette chronique reviendra à la fin de l’été.

In Libération - 11 juillet 2008


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