Les vraies retrouvailles d'Antonio et de Pedro
En adaptant à l'écran le roman (culte, pour moi !) de Thierry Jonquet "Mygale", Almodovar retrouve une folie mise en veilleuse lors de ses deux précédents opus, "Volver" et "Etreintes brisées" : pour les aficionados du madrilène, dont je suis, c'est le bonheur total.
Ce n'est rien de dire que l'espagnol est, de tous les "grands" cinéastes actuels, celui qui, sans doute, possède cette qualité rare : il a un style.
Vous regarderiez le film en supprimant le générique de début que, dès les premières images, vous diriez immanquablement : c'est un film d'Almodóvar !
Le traitement de la couleur, le cadre, les mouvements de caméra, la direction d'acteurs, le climat lourd et dérisoire à la fois, une certaine distanciation par rapport au drame, les stridences musicales de son fidèle compère Alberto Iglesias (ici, des coups d'archet à la "Psycho"), sont la marque de fabrique de celui dont, à chaque nouveau film, on craint que, cette fois, il ait raté son coup.
A chaque fois, le miracle se produit : eh non, encore un coup de maître !
Grâce à "Mygale" donc, ce cher Pedro, peut encore donner libre cours à ses délires, délires qu'il arrive à faire en sorte qu'ils ne s'égaillent en tous sens ; c'est ça la maîtrise.
Avec un sujet pareil et un tempérament latin, on pouvait s'inquiéter en effet que le cinéaste ne s'égare sur des voies balisées par Dario Argento ou, bien pire, par Mario Bava.
Non.
Il est amusant (et grotesque), cet "avertissement" aux âmes sensibles qui accompagne la sortie du film et se retrouve dûment imprimé sur votre ticket d'entrée !
Les passages de nature à choquer, durs, certes, (mais le sujet l'exige) sont traités avec un tel respect du spectateur, avec une telle absence de complaisance, qu'ils n'ont rien de "choquant" au sens littéral du terme : on sera plus "choqué" par la gratuité de certaines scènes de certains films qui se veulent "grand public" et caressent le ("jeune" souvent) spectateur de la plupart des blockbuster estivaux.
Le montage "au rasoir" donne au film un rythme soutenu qui exclut tout "ennui", même si je pense, moi, qu'il faut réhabiliter la notion d'ennui, et pas seulement au cinéma où quelques spectateurs, je le remarquais encore hier, attendent la dernière seconde pour éteindre leur joujou4 : l'obsession de l'ennui, c'est.
J'avais donc lu Mygale dans les années 80 et en avais été durablement impressionné, me disant qu'il faudrait être sacrément costaud pour en tirer une version cinématographique.
C'est peu de dire qu'Almo (je peux l'appeler ainsi, le fréquentant depuis si longtemps) relève la gageure avec le panache qui est le sien, nous prenant dès le début et ne nous lâchant qu'au générique de fin.
Il serait sacrilège d'insérer ici le moindre synopsis : cette histoire hallucinée (hallucinante) ne doit en aucun cas être racontée à qui n'a pas encore vu le film.
Il suffit de dire que la trame en est diabolique, que le titre original (pourquoi ne l'a-t-il pas gardé ?) y trouve toute sa légitimité.
Certes, Almodóvar déconstruit quelque peu cette "toile d'araignée", cinématographiquement habile, à travers des flash-back qui ne sont pourtant jamais malvenus, astuce permettant de condenser une œuvre de fait inextricable.
L'exploit vaut qu'on salue et lève son chapeau.
Le moindre n'est pas de réhabiliter Antonio Banderas, qui s'égara aux USA dans des productions où son talent de comédien n'eût guère la chance de se révéler, d'évoluer :
Almodóvar, comme pour le tester en "jeune acteur" lui avait remis le pied à l'étrier dans "Etreinte brisées" avec parcimonie.
Ici, lui qui en fit son égérie masculine en début de carrière, redonne au bel Antonio la chance de prouver toute l'envergure de son talent.
Banderas n'a peut être jamais été aussi bon qui ne quitte guère l'écran, tour à tour tendre et machiavélique.
En fidélité à ceux avec lesquels il s'est fait, Pedro fait appel une nouvelle fois à Marisa Parédès, actrice almodovarienne par excellence qui sera Mina dans son prochain film.
Que voulez-vous que je vous dise ? Une fois de plus, ici, elle est parfaite.
Pour ce qui concerne les "jeunes" de la distribution, on notera deux "révélations" : celle de Elena Anaya qui porte admirablement sur ses belles épaules le rôle difficile de Vera ; et quelle... peau !
Jan Cornet crée un Vicente habité, crédible, attachant, dans un rôle qu'il eût été également possible au Gael Garcia Bernal de la "Mauvaise éducation".
Idem pour Blanca Suàrez qui incarne une Norma (hasard, ce prénom ?) touchante dans sa démence.
Il en est pour faire la fine bouche ?
Blasés, snobs, passez votre chemin.
Un grand film.
La Piel que Habito
En salles depuis le 17 août.
Antonio Banderas et Elena Anaya
Au centre, Jan Cornet, "Vicente"
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