Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

mardi 1 février 2011

Et c'est le temps qui court*

J'ai beau freiner des quatre fers -vieille expression du temps des voitures hippomobiles-, rien n'y fait : le temps court de plus en plus vite.
Et finit toujours par me rattraper.
Ainsi, j'avais l'impression d'avoir écrit ici hier.
Les innombrables (au moins 2) messages de protestation de ceux qui prennent le temps, eux, de me faire l'honneur d'une visite quotidienne dans ces pages, me rappellent à l'ordre : oui, je sais, je n'ai rien publié depuis le 28 janvier; depuis le mois dernier, quoi.
On ne m'en voudra pas trop : l'Atelier Musical présentait ces samedi et dimanche une quinzaine d'élèves-pianistes à ce Concours Musical de France, choisi pour son aimable décontraction : ce sont des marseillais qui l'organisent.
Il y a cette pianiste d'un certain âge qui le préside, affable jusqu'au moment où je la vois sursauter à une faute de rythme, semblant résister aux fausses notes avec résignation, ce pour quoi je lui voue une réelle admiration.
Quand j'arrive à l'ENAM de Vincennes, où se déroulent les épreuves, le monsieur qui fait office d'assesseur, qui a senti dès la première fois nos proximités régionales, m'accueille avec cet accent typique des experts ès pétanque.
Samedi, c'est tout juste s'il ne m'a pas tapé sur l'épaule et invité à boire un pastaga, me tutoyant en "collègue", comme si, à son instar, j'étais un protégé de la "bonne mère", usant d'un tutoiement en méridionale connivence.
Les gamins peuvent aborder l'épreuve sans stress : dès leur arrivée on les guide vers des salles dotées d'un bon piano où ils peuvent se "faire les doigts", puis on vient les chercher pour leur passage dans cette grande salle qui donne sur la Mairie de Vincennes par une grande baie vitrée qui dispense la lumière (relative) du jour.
Je ne peux manquer de me souvenir de ces multiples concours passés, autrefois, dans des salles rébarbatives, à huis-clos le plus souvent, du temps où j'étais une "bête" à examens.
Sur mon passage, je le dis sans vanité aucune -ça ne m'est jamais monté à la tête- j'entendais les autres concurrents chuchoter "oh zut (car dans ces milieux, on ne disait pas "merde"), y'a Coudène !"; c'est comme je vous le dis.
Je m'évertue à entraîner ces petits pianistes à l'attitude ad-hoc : concentration, isolement intérieur, souplesse des muscles, un peu d'émotion pouvant permettre de se transcender.
Et ça marche : dans les groupes de tel ou tel niveau, les gosses de l'Atelier, les nôtres, se distinguaient, ce weekend, très nettement des autres enfants, à l'aise, "carrés", jouant leur petite pièce au tempo demandé, sans user abusivement de la pédale (pauvre Bach, noyé par certains "autres" dans des brumes chopinesques !), réglant tranquillement leur siège à la bonne hauteur, prenant leur temps (tiens donc !) avant de commencer.
Le menuet du Petit Livre d'Anna-Magdalena Bach peut se dérouler ensuite, fermement, sans affèterie, comme il devrait toujours être joué, baroque, élégant, invitant à ces pas de danse mesurés de l'époque.

M'accompagne actuellement le livre de Michel Schneider "Glenn Gould piano solo" (folio).
Même si je suis loin d'avoir le talent (le génie ?) du pianiste canadien, je savoure les liens qui m'unissent à lui : de son enfance, je retiens qu'aux mêmes âges, mes rapports avec l'éducation physique et l'éducation tout court étaient du même acabit que les siens.
Gould était l'incarnation même de la musique.
Il y eut, on le sait, des pisse-froid pour contester ses interprétations, son attitude au piano, ses chantonnements audibles dans tous ses enregistrements, sa misanthropie...
Gould n'était pas un homme pressé, laissant "le temps au temps" : comment voulez-vous que je ne me sente pas à l'aise avec un tel personnage ?
J'ai racheté récemment ce "Clavier bien tempéré" dont il jouait le premier livre à l'âge de dix ans.
Eh bien, cette "somme" est un modèle de rigueur et d'introspection, de la même veine que ces fameuses Variations Goldberg dont je me refuse à jouer l'Aria, prétendue "simple", tant l'empreinte qu'il laisse m'est indélébile.
A un autre niveau que le mien, Richter refusait de jouer telle ou telle oeuvre (Mozart, notamment) dont il estimait qu'il n'y avait plus rien à tirer après qu'une consoeur ou un confrère l'ait sublimée.
Je vais poursuivre ma "mise en harmonie" avec Gould, essayer de comprendre un peu mieux cette personnalité complexe, écouter une énième fois cette divine (je ne vois pas d'autre mot) Aria.
Pour cela, il faut du temps.

Un pull en tricot en piteux état sur un "habit" trop grand pour lui.
"Vous n'allez pas jouer comme ça ?!" lui avait dit Bernstein.


Et Dieu dans tout ça ?

* Le titre de ce billet est emprunté à une chanson... d'Alain Chamfort dont le thème musical est de... Frédéric Chopin !

2 commentaires:

Kynseker a dit…

Où j'apprends que je suis un pisse-froid. On ne peut pas être parfait !

Silvano a dit…

Enfin une divergence ?!