Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

samedi 5 février 2011

Du papier avec des lettres imprimées dessus

Je lisais hier soir dans le métro.
La lectrice et le lecteur du métro sont d'une espèce en voie de disparition.
La lecture d'un livre dans les transports en commun, surtout si elle est soutenue par du Brahms (Arrau/Giulini) comme c'était le cas hier, peut présenter un inconvénient : si vous vous passionnez pour le contenu du livre, si la musique de Brahms vous émeut -on peut, en outre, avoir l'air con quand vient la première larme au coin de l'oeil-, vous risquez de rater votre station.
Dans ce cas, vous vous consolerez en vous disant qu'un peu de marche à pied ne peut faire de mal à personne.
Je constate donc au fil des années une nette régression des lectures en milieu estampillé RATP.
Je me surprends à me maudire de ne pas avoir mon appareil photo en permanence avec moi -je ne dis pas sur moi, chacun de mes trois fidèles lecteurs sachant à quel point je déteste le "sur"- pour réaliser une série d'images où l'on ne verrait que des gens en train de lire, car il en subsiste encore quelques uns : en mettant à part les élèves des cours d'art dramatique qui déchiffrent ostensiblement le "Médecin malgré lui", on peut encore croiser des personnes absorbées par leur lecture, et, vu qu'à ce rythme, la race ne devrait pas tarder à s'éteindre, ce me serait presque un devoir que de les fixer sur ma SD Card (car la "pellicule" est également obsolète).
On s'amusait (jaune) l'autre soir en coulisses en se disant que pour la plupart des jeunes d'aujourd'hui, le nom "Corneille" ne pouvait évoquer que celui d'un chanteur pas plus mauvais qu'un autre au demeurant, et que "Beethoven" n'était pour les enfants que le patronyme d'un gros Saint-Bernard dans un film U.S.


Il y a quelques années, et ce n'est pas si loin, je me gaussais de ceux que les journalistes appelaient les "déclinologues", ces "intellos" (pouah !) qui tiraient le signal d'alarme (tiens, encore le métro !) pour nous alerter sur la décrépitude de la culture française dans le monde et... en France au premier chef.
Les progrès technologiques sont diablement excitants quand l'homme sait les dominer.
Aujourd'hui, et tant pis si je passe pour un vieux con en le dénonçant, le résultat est inverse.
Les "déclinologues", je le vois, l'entends, le sens, avaient raison : la fameuse "exception culturelle" de l'ère Jack Lang a été mise à sac par des salauds dont, sans que je fasse un dessin, vous saurez de quel côté de l'échiquier politique ils se situent.
Le budget du Ministère de la Culture, aujourd'hui dirigé par quelqu'un dont je ne pensais pas grand mal avant qu'il vienne "aux affaires" comme on dit, est réduit à peau de chagrin, l'éducation musicale à l'école* -pardon, c'est un peu mon domaine- est en jachère, qui ne laisse aux oreilles de nos chers petits que le choix entre Lady Gaga et -pour les français qui arrivent encore à vendre quelques disques- euh, M Pokora (ça s'écrit comme ça ?).
Bref, sous la pression de la télé qui flatte les bas instincts de ses spectateurs et entretient leur paresse intellectuelle (pouah !), les pouvoirs publics ont choisi de laisser faire, renonçant à l'un de leurs devoirs essentiels : nous permettre de nous élever, de nous dépasser.
Je me souviens qu'en 81, quand la gauche est arrivée au pouvoir avec Mitterrand -qui n'était pas un fan de Bigard, comme chacun sait, mais un homme TRES cultivé, quoi qu'on pense du personnage-, la droite ulcérée ("eh, oh, il est à nous le pouvoir, au voleur !"), se répandait en "vous allez voir comme "ils" vont nous emmerder avec la "culture" (prononcée comme un gros mot, comme l'est aujourd'hui le mot "intellectuel".
Là aussi on peut penser ce qu'on veut de lui, mais Jack Lang a fait un travail extraordinaire dans le domaine, qu'on a, depuis, amplement démoli, comme on prétend le faire de "l'esprit de mai 68", comme si l'urgence n'était pas ailleurs : réduction des inégalités, emploi, éducation (ah, la pauvre "Educ' Nat'", dans quel état ils vont la laisser !), santé (idem !), précarité...
Tiens, je vais me faire faire un t'shirt portant l'inscription "je lis des livres".
Ce sera d'ici peu un signe extérieur de rébellion.

En plus (et sans supplément de prix !) 
L'autre soir j'ai pris en cours de route une émission de télé où l'on recevait le sympathique (demandez à tous ceux qui ont bossé avec lui) Philippe Bouvard.
L'homme disait en substance, crachant sur les "intellectuels" (encore !) que "tout le monde pense".
La démagogie du propos était du niveau de ce que le personnage écrit depuis des années dans les journaux les plus "réac" du pays.
Il est des gens pour "penser" (nous tous) et d'autres, dont c'est le métier, pour "réfléchir".
Et faire progresser la pensée universelle.


* On lira sur le sujet de l'éducation musicale l'excellent dossier que lui consacre Télérama (pouahbeurkpouah) dans son dernier numéro : effarant !


En bas à droite, le vrai Beethoven.
"Pour tous" eût été plus sympa, non ?



2 commentaires:

Kynseker a dit…

J'ai une anecdote à propos de Corneille qui remonte à un certain nombre d'années...

Nous étions mes camarades et moi en salle d'étude au collège et je présume que nous jouions au jeu du bac. Lors de l'examen des réponses, à la rubrique chanteur, quelqu'un avait mis "Corneille". Très candidement, j'avais fortement protesté que Corneille était un dramaturge et sûrement pas un chanteur.

Quel opprobre ! La plupart de mes camarades n'avaient jamais étudié Corneille et tous connaissaient le chanteur alors que moi, je n'en avais jamais entendu parler...

J'ai vécu des situations similaires tout au long de ma scolarité jusqu'à arriver à Sciences Po où la musique classique, l'opéra, la littérature, la poésie et la peinture abstraite ont droit de cité. Pour échanger avec d'autres à propos de ce qui est l'essentiel de ma vie, quel soulagement !

Silvano a dit…

@Kynseker
Révélateur, en effet.