Il faut bien que de temps à autre j'y aille d'un petit couplet en nostalgie.
A Antibes, dans la vieille ville, la rue James Close conduit de la rue des Bains à la rue de la République.
Aujourd'hui jalonnée presque exclusivement de boutiques de fringues et de restaurants, elle a oublié qu'elle recelait autrefois des commerces "de bouche", boucherie chevaline, épicerie "Au bon lait" (où l'on faisait crédit !) et, notamment, un commerce spécialisé dans la "morue séchée" et autres salaisons maritimes.
Pour nous, gamins, c'est surtout la boutique des "Bozi" (orthographe ?) qui en était le centre d'intérêts : c'était une échoppe de brocanteur en mode fourre-tout où l'on trouvait des objets hétéroclites, des vêtements passablement défraîchis et, plus intéressant pour nous des bouquins.
Quand l'un de nous (la bande du vieil-Antibes) portait des fringues d'un goût douteux ou trop originales, quelqu'un posait invariablement la question : "tu l'as acheté chez Bozi ?" en un humour qui frisait l'insulte.
Madame Bozi reprenait et revendait livres de la Bibliothèque Verte et "comics", ces bandes dessinées en petit format, selon une formule de troc parfaitement rodée ; on rapportait 4 livres, dont elle évaluait l'usure, et nous en octroyait royalement un ou deux, sauf à rajouter quelques francs si notre avidité de lecture était trop irrépressible comme souvent.
Cette matrone exhalait par tous ses pores l'appât du gain ; nous jouions ce jeu, conscients, à chaque visite, d'avoir été grugés, mais pressés de s'allonger dans la chambre et de commencer une nouvelle lecture.
Je lisais beaucoup de romans "de cape et d'épée" signés Paul Féval (l'auteur du "Bossu"), Michel Zévaco (Pardaillan, le chevalier) ou Ponson du Terrail (Rocambole) qui n'étaient pas encore démodés ; mais aussi ces fameux "comics", car les albums d'Astérix ou de Lucky Luke étaient pour nous hors de prix, que l'on ne pouvait se procurer qu'à la Bibliothèque Pour Tous, où l'attente, pour les obtenir, était décourageante.
Ces bd "bon marché" de substitution, adaptations françaises d'éditions américaines, suffisaient à notre bonheur, peuplées de héros invincibles (Kit Carson, Ivanhoë, Roy Rogers...) dont celui qui est le plus ancré dans ma mémoire, Blek le Roc !
Blek était un héros taillé en armoire à glace, américain nouveau qui se colletait aux anglais pendant la guerre d'indépendance avec force "damned !" et autres expressions anglo-saxonnes.
Il parvenait toujours à sauver in-extremis les colons que les méchants anglais faisaient qu'à embêter.
Ca sentait la poudre à canon, le rhum ; mais plus certainement une odeur de moisi provenant de chez Bozi.
Damned !
Sus aux tuniques rouges !
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