Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

jeudi 24 mai 2012

J'ai vu des films

Au cinéma (le Audiard) ou sur mon écran personnel, petite cure de cinéma ces jours derniers :

DE ROUILLE ET D'OS

C'est sans doute le film de Jacques Audiard le moins abouti.
On pourra s'étonner que les festivaliers cannois lui aient réservé une ovation-debout de quinze minutes, mais il est vrai que le film ouvrait la compétition : depuis, les projections se sont enchaînées à cadence soutenue, donnant vraisemblablement l'occasion de remettre à l'heure les pendules cinématographiques. Enthousiasme douché, donc, par la vision de films moins convenus.

Que dire ? Sinon que la nouvelle production du réalisateur de "De battre mon cœur s'est arrêté" se laisse voir sans déplaisir et contient même quelques morceaux de bravoure du meilleur effet, que Marion Cotillard est moins insupportable qu'à l'accoutumée, sobre malgré le poids d'un tel rôle sur ses frêles épaules, que le film aborde courageusement des thèmes que le cinéma a rarement traités, si ce n'est avec de gros sabots.
Audiard réussit donc à éviter l'écueil du pathos inhérent à son sujet - le handicap- mais veut tellement s'y contraindre qu'il en assèche son propos.
Il y a une vraie mise en scène -guère étonnant de sa part-, une belle photo, deux séquences-choc bien venues, et une belle bande-son (même Desplat, pour la musique originale, retrouve un talent qui commençait à se diluer).
Mais l'on ne pourra s'empêcher de constater quelques incohérences scénaristiques étonnantes de la part d'un tel auteur, et un montage quelque peu hasardeux, les deux allant de pair.
Les ellipses ne sont pas toujours volontaires, tirant à la ligne, souvent, et la fin laisse sur sa faim.
Le film révèle un acteur, Matthias Schoenaerts, qui devrait faire une belle carrière de beau mec viril, sans doute bientôt récupéré par un certain cinéma américain. Le comédien belge s'y révèle juste, que nous avions repéré dans le bon "Black Book" de Paul Verhoeven en 2006.
Il serait fichtrement étonnant, malgré ses qualités, que "De rouille et d'os" emporte la Palme d'Or.
Je ne pense pas que ce soit la tasse de cappuccino de l'excellent Nani Moretti, président du jury de l'édition 2012.
Vous aimerez, vous détesterez, ou, comme moi, resterez dubitatif.


CLEOPATRE


Cléo et le bâtard de Jules. L'apogée du bling bling ?
Quatre heures et neuf minutes de (vidéo)projection !
Pour le coup, c'est à mon voisin de canapé et à moi-même qu'il faudrait décerner une palme !
On sait que le film de Joseph Mankiewicz faillit, au début des années soixante, ruiner la 20th Century Fox : le coût exorbitant des décors, une figuration pléthorique, les caprices de la star Elisabeth Taylor et de son mec, Richard Burton (leurs violentes disputes font partie de la légende), furent à la source d'un dépassement de budget, lequel, dès l'origine, était faramineux.
Malheureusement pour le film, c'est la réputation qui lui colle aux basques.
Si l’œuvre, si longue, engendre quelques bâillements, elle contient force moments de grande cinématographie, dont, bien sûr, l'arrivée, dans la Rome de Jules César, de cette reine d'Egypte dont la beauté fit tourner (et tomber) plus d'une tête, dont, tour à tour, celles de Jules et de son copain Marc Antoine. C'est Mankiewicz qui, quelques années auparavant, avait donné au cinéma un chef-d’œuvre, "Jules César", exploit cinématographique s'appuyant sur le texte de William Shakespeare, offrant à Marlon Brando (en Marc Antoine) l'un de ses plus grands rôles.
Nous regrettâmes d'ailleurs, à l'issue de l'ingestion du "pavé-Cléopatre", de n'avoir point choisi de voir son prédécesseur.
Reste que, justement, la superproduction, au grand dam, d'ailleurs, de ses financiers, frémit constamment d'un souffle shakespearien grâce à son "team" de scénaristes (dont Mankiewicz lui-même et le très bon Ben Hecht), à la somptuosité des prises de vue, à la belle partition musicale d'Alex North, le tout étant épicé par Madame Taylor, au faîte de sa gloire et de sa beauté.
Rex Harrison, à mille lieues du Pr Higgins de My Fair Lady, y est parfait en Jules César, fin politique, conquérant téméraire que l'amour vint faire vaciller.
A l'origine le film durait 5 heures et 20 minutes !
Comme disait l'autre (un certain Pascal) : "Le nez de Cléopatre s'il eut été plus court, toute la face de la terre aurait changé" (devoir récurrent de philo).
Vous avez une heure.

NOS MEILLEURES ANNÉES (La meglio gioventu)

J'ai déjà chroniqué ici* cette extraordinaire "saga" qui nous plonge dans l'Italie des années sombres.
Encore un film long, et pas qu'un peu : 2 fois 3 heures !
Mais ici, pas un seul bâillement. Au contraire, on se retient de ne pas enchaîner la deuxième époque tant la première nous a tenu en haleine.
Rappel du synopsis :
A la fin des années soixante, deux frères d'une famille italienne, Nicol et Matteo, partagent les mêmes rêves, les mêmes espoirs, les mêmes lectures et les mêmes amitiés, jusqu'au jour où la rencontre avec Giorgia, une jeune fille souffrant de troubles psychiques, détermine le destin de chacun : Nicola décide de devenir psychiatre, alors que Matteo abandonne ses études et entre dans la police. Leur parcours ainsi que celui du reste de leur famille s'inscrit en parallèle avec les événements qui ont joué un rôle crucial dans l'histoire de l'Italie : l'inondation de Florence, la lutte contre la mafia en Sicile, les grands matchs de football de l'équipe nationale... 
Merci AlloCiné qui oublie néanmoins, ci-dessus, un élément essentiel du film : la dérive gauchiste qui conduisit aux "Brigades rouges" responsables d'attentats criminels et autres exactions.
Le grand mérite du film de Marco Tullio Giordana est la proximité qu'il induit entre spectateur et protagonistes, dont nous suivons avec émotion, rires, indignation, rage, les itinéraires de vie.
Acteurs exceptionnels (Alessio Boni est Matteo, Luigi Lo Cascio est exceptionnel "de niresque" en Nicola Carati, et Maya Sansa illumine en Mirella)**, musique judicieusement choisie, entremêlant Piazzola, chansons populaires italiennes et musique classique, voyage à Milan, Florence, Rome et Palerme, Nos meilleures années réunit des qualités qui donnent à espérer, encore et malgré son état, du cinéma italien.
A se procurer, à voir toutes affaires cessantes.

* J'ai sans doute évoqué un conversation que j'eus, à Venise, autour de ce film, avec un professeur en arts plastiques et l'une de ses élèves à l'une de ces tables communes propices aux rencontres intéressantes, à l'heure du "pranzo" (déjeuner), quand ouvriers et artistes se mêlent autour de ciccheti et autres arancini.
** On appréciera l'une des premières apparitions à l'écran, en fin de film, de Riccardo Scarmarcio qui fait, depuis une fort belle carrière internationale tout en demeurant  la vedette des grandes scènes de Rome et d'ailleurs.

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