Affiche originale
La séance rituelle de cinéma-maison du mardi est toujours un grand moment.
Hier, j'avais choisi de programmer l'un de ces films dont tout cinéphile qui se respecte doit pouvoir faire état dans sa connaissance du 7ème art : Ivan le terrible de S.M. (sa majesté ?) Eisenstein.
Eisenstein, réalisateur officiel de l'ex-URSS, a donné, avec la collaboration du génial compositeur Prokofiev, un Alexandre Nevski qui demeure en bonne place dans mon Panthéon.
Réalisé à la fin de la seconde guerre mondiale, Ivan le terrible, qui conte le règne d'Ivan IV, de 1530 à 1584, qui fut le premier "Tsar de toutes les Russies", de par sa volonté à briser l'influence des "boyards", seigneurs féodaux qui pillaient allègrement les trésors de l'empire et exploitaient sans vergogne les populations affamées.
Le film disserte sur le pouvoir, lequel, selon lui, ne pouvait s'imposer à l'époque que par la terreur.
On peut se demander, s'il n'y a en l'occurrence matière à excuser les crimes de Staline : le film sert en effet la propagande du régime soviétique, exaltant l'union du peuple russe sous l'autorité d'un monarque qui ne s'embarrasse guère de précautions humanitaires pour diriger son pays d'une main de fer.
Intrigues de cour, assassinats, complots en tous genres jalonnent ce long, très long, trop long film de 3 heures.
Certes, la photographie du grand chef-op' attitré d'Eisenstein Edouard Tisse, est admirable, jouant des ombres et des lumières avec maestria, la musique de Prokofiev contient des thèmes admirables, et Nikolaï Tcherkassov, LE comédien du cinéma russe de l'époque, est souvent extraordinaire malgré son jeu terriblement daté ; mais l'on se surprend maintes fois à bailler -mes deux invités ne s'en sont pas privés !- pendant ces 190 minutes, l'ennui naissant de séquences qui s'apparentent à des séances de pose, du jeu outrancier des acteurs.
L'influence de l'expressionnisme allemand (Murnau, Fritz Lang) se fait constamment sentir : ce sont les images hallucinées (-nantes) de Tisse que l'on retiendra de ce film-fleuve qui symbolise un certain cinéma.
On n'aura pas pour autant le snobisme de le placer au plus haut des chefs-d'oeuvre du cinéma mondial.
Quant au remake, "Tsar" de Pavel Lounguine en 2009, hémoglobine et boum-bang-tchac en Dolby, on a le droit, malgré tout, de préférer le pavé d'Eisenstein.
Tcherkassov en Ivan : "puisque c'est comme ça, je vais être très très méchant".
5 commentaires:
À revoir quand même avant de le juger trop long, je pense.
Peut-être parfois statique, mais il faudrait que je le revoie en meilleure forme !
En passant par là...
J’aurais moi, « le snobisme de le placer au plus haut des chefs-d’œuvre du cinéma mondial. »
Carrément.
Sans conteste.
Même si je suis loin d’avoir vu tous les chefs-d’œuvre en question…
Il y est, tout là-haut.
Mais c’est très personnel.
C’est drôle les perceptions selon chacun… Ce film en deux épisodes m’a paru trop court. Je me suis laissée surprendre par la fin de la première partie : « Hein… déjà ? » Vite, la suite !
Et encore, le troisième et ultime volet prévu est manquant, snif…
J’ai découvert ce film il y a quelques mois (édition dévédé les Films sans Frontière, ça a son importance mine de rien, rapport à la séquence en couleurs), alors que j’avais envie de le voir depuis des années (oui, j’ai mis le temps) et, envoûtée, je m’y suis pas mal intéressée dans la foulée.
Lors de mon premier visionnage j’aurais bien appuyé sur le bouton « pause » pour des arrêts sur images à tout bout de champ, histoire de détailler l’esthétisme de chaque plan, décortiquer le cadrage… tout ! Mes yeux écarquillés ne suffisaient pas.
Il faut savoir que le jeu des acteurs, considéré comme « lourd » et « pénible » par beaucoup, n’a rien de gratuit. Il serait erroné de penser que c’est un jeu daté, « parce qu’on jouait comme ça en 40 » ! Il n’en est rien et il suffit de lire les comptes-rendus des séances du « Conseil artistique pour le Comité de la cinématographie », dont les membres étaient chargés d’examiner le film avant délivrance du visa de sortie, ou encore celui de la rencontre entre Staline-Molotov-Jdanov et Eisenstein-Tcherkassov, en 47, pour se rendre compte que déjà à l’époque cet aspect outré était relevé. Soit dit en passant, on a la surprise de constater que tous ces types, qu’ils soient politiciens, généraux, réalisateurs, comédiens, écrivains ou compositeurs, qu’ils aient aimé ou non le film ou soient plus partagé, surent s’exprimer sur le sujet d’une manière personnelle et argumentée dont seraient bien incapables aujourd’hui nos zélus & zélites bredouillantes…
Soyez certain qu’Eisenstein a bien cornaqué ses acteurs pour leur imprimer ce style de jeu. Sa troupe renâclait à jouer ainsi selon ses directives, ce ne fut pas sans mal. Ça rechignait, ça regimbait dur ! Tcherkassov (ou Cherkasov, c’est selon) et le jeune Kouznetsov (qui incarne Fédor Basmanov) en tête de la « fronde ». Ils ont donné à Eisenstein autant de fil à retordre que celui-ci leur en demandait, si on peut dire…
Donc, si Nikolaï Tcherkassov en particulier joue ainsi c’est parce qu’Eisenstein le lui a demandé, le lui a imposé. Ce jeu contorsionné ne lui était pas naturel, et, quel que soit les liens amicaux ou de confiance existant entre eux, Tcherkassov ne s’est pas privé sur le coup de faire part de ses multiples réserves et réticences. Qu’à cela ne tienne, Eisenstein suivait son idée, et, souple mais exigeant, les a tous pliés à sa volonté. Et il savait avoir en Tcherkassov un interprète de choix. Un acteur touche-à-tout qui avait expérimenté pas mal de choses à ses débuts, et même tâté de ce jeu ultra formaliste si en vogue un temps, puis décrié, désavoué, renié, et auquel Eisenstein prétendait justement le faire revenir, à son grand déplaisir, pour le rôle d’Ivan… Mais pour le plus grand bien du film ! Quelles scènes que celles où Ivan mal en point supplie les Boyards, pleure son Anastasia dans la cathédrale, ou descend vers le peuple venu le réclamer ! Avec la partition de Prokofiev par là-dessus… Ca décoiffe.
J’adore.
Suite de mon commentaire, qui est long, puisqu'ici un message ne doit pas dépasser tant de caractères, grrrr......
Donc je disais :
"J'adore."
Le film n’est pas non plus réductible à une apologie du stalinisme. Ca, c’est la lecture au premier degré, ce qui vient à l’esprit spontanément quand on se renseigne un peu sur le contexte de tournage.
Oui, c’est à l’origine une commande d’Etat – tout comme l’était déjà « Alexandre Nevski » cinq ans plus tôt - mais Eisenstein a joué avec. Cette fois-ci il a pu, la dernière.
Il en a fait ce qu’il a voulu - succès de Nevski et climat de guerre aidant - de cet Ivan devenu un porte-parole très personnel ; il en a dit ce qui lui plaisait d’en dire, d’en montrer, d’en laisser deviner, ceci sous couvert de respecter le cahier des charges. Eisenstein n’aimait guère Staline - un type qui a laissé torturer et tuer Meyerhold ?! - ce n’est bien qu’en apparence qu’il a fourni ce qu’on lui demandait.
Témoin la deuxième – dernière - partie, aussitôt interdite pour douze ans.
Du reste, c’est presque un petit miracle qu’Eisenstein ait pu en achever le tournage ainsi que le montage. A la fin sur les plateaux, avant même de voir primée sa première partie, il faisait malaise cardiaque sur malaise cardiaque. Puis il a mis deux ans à mourir, vivant au ralenti, privé du tournage de la troisième.
C’est le non moins exigeant Andreï Moskvine(http://www.urusevskiy.narod.ru/moscwin/book.jpg) qui fut le chef-opérateur sur « Ivan ». Edouard Tissé - bien que présent aux côtés d’Eisenstein et indispensable à l’élaboration de l’œuvre dans ses moindres détails… on peut s’en rendre compte ici :
https://lh4.googleusercontent.com/-nY3YVjGRxho/R7YdJcDINpI/AAAAAAAABM8/gRH-W7BJQM0/s640/P5160243.JPG - Tissé, ne se chargea cette fois que des prises de vues en extérieur.
Ce ne sont pas les plus nombreuses…
Ils ont tourné de nuit, le jour toute l’électricité allait aux usines d’armement – on est alors en plein 43-44 ; dans la glacière, ça se remarque bien dans la cathédrale, comme dans la canicule. Les scènes du siège de Kazan ont été prises aux alentours d’Alma-Ata, où ils étaient repliés, par plus de 40°, avec armures, harnachements et maquillages…
Enfin, j’en termine en signalant qu’Eisenstein avait conçu au préalable tout le film sous forme de dessins, de portraits, de scènes détaillées, les interprètes devant scrupuleusement s’y conformer - et Tcherkassov s’y désosser -, un « storyboard » fascinant qui a précédé d’un an ou deux le début effectif du tournage.
Ces dessins sont un peu épars, à droite à gauche (http://www.cinematheque.fr/sites-documentaires/eisenstein/rubrique/documents.php?sous_rub=dessins#dessins )… La BD du film « Ivan le Terrible » de la main d’Eisenstein reste à éditer !
Sans parler de la version érotico-phallique dessinée par le même parallèlement au tournage et destinée à ses amis et acteurs. Celle-là on sait qu’elle a existé mais elle n’a pas encore refait surface ; en espérant qu’elle n’ait pas été détruite depuis par ses différents destinataires !
« Ivan Le Terrible » est un film inépuisable...
Tiphaine
@Tiphaine : bel argumentaire que je publie in-extenso ici : http://sylgazette.blogspot.com/2011/06/ivan-cest-terrible.html
Bonjour, Vous pourrez le re-visionner, le savourer d'un autre oeil (si, si) comme ça... Moi je ne m'en lasse pas !
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