"Réclame", à l'époque de Marcel P. |
Un peu plus loin, décrivant les habitudes de la tante Léonie, recluse dans sa chambre, il évoque la prise quotidienne, et à heure fixe, de ses verres de Vichy Célestins, eau gazeuse à fines bulles qu'une publicité télévisuelle s'efforce actuellement de déringardiser, lui prêtant de nouvelles vertus : autrefois, cette eau pétillante se voulait digestive ; aujourd'hui, sa "fraîcheur au quotidien" (!) serait source (! encore) de bienfaits pour la peau des jeunes femmes ciblées par la publicité.
Or, cette eau miraculeuse me revient à présent en "madeleine", réveillée davantage par la lecture de la "Recherche" que par l’assommante réclame, laquelle récupère, au passage, la jolie chanson du film "Jules et Jim", la taguant d'un texte affligeant dont seule l'imagination, dramatiquement pauvre, des publicitaires, pouvait accoucher.
Enfant, lors de nos vacances dans le midi, le déjeuner chez la tante Marie, à Nîmes, était rituel un obligatoire auquel je me pliais de bonne grâce, tant j'aimais cette grand-tante, une maîtresse-femme, brillante, autrefois propriétaire d'une brasserie bien fréquentée de Montpellier, veuve d'un conseiller général de cette ville, qui épousa en secondes noces l'un des hommes les plus affables que j'aie jamais rencontrés, lequel, je vous le donne en mille, s'appelait... Marcel.
Sur la table du déjeuner, la bouteille de Vichy Célestins trônait immuablement, dont j'eus l'occasion d'apprendre par cœur le texte de l'étiquette et, notamment, ce bout de phrase qui ne laissait pas de m'intriguer : "ne décompose pas le vin".
Les adultes, encouragés sans doute par cette affirmation, mélangeaient donc, débarrassés de toute crainte (puisque c'était écrit) la piquette locale (on n'avait pas encore créé le Costières de Nîmes) et les bulles de l'eau salutaire.
Je grandis et eus le droit, un dimanche, de goûter le breuvage. On consentit à verser dans mon eau de Vichy quelques gouttes de ce vin d'une couleur rendue plus encore violacée par le mélange. Je ne renouvelai jamais l'expérience, tant la mixture me parut infâme.
A l'inverse d'autres de mes madeleines, comme ces gnocchi d'un restaurant vénitien qui me rappellent, à chaque dégustation, ceux que confectionnaient patiemment ma mère, ou un certain gâteau au chocolat familial, l'eau de Vichy Célestins n'est pas inscrite dans ma mémoire comme un souvenir heureusement gustatif.
Mais, conjuguée à la vulgaire "pub" de la télévision et à la lecture du beaucoup moins vulgaire Proust, elle m'est plus miraculeuse que l'eau de Lourdes.
Buvard publicitaire : autant de qualités en bouteilles, ce n'est pas rien ! |
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