Le journal de Sylvian Coudène.
Humeurs, humours, musiques, cinéma, et autres libertés provisoires.
"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)

jeudi 12 janvier 2012

Shame : autodestruction en milieu urbain

Jogging en mi mineur
Avant d'y aller de mon ressenti, je me permettrai simplement de rappeler que j'écrivais, ici-même, il y a peu, que Bach était le plus moderne de tous les musiciens du monde, de la planète, de tous les temps, et ce qu'il vous plaira d'ajouter.
C'est évidemment la scène où Brandon (Michael Fassbender) fait son jogging au rythme du Prélude BWV 855 (le 10ème du premier livre du "Clavier bien tempéré") qui me reste en mémoire, là, maintenant, à froid, avant que ne se déroulent à nouveau en moi les images, les sons, les odeurs (oui !) d'un film bouleversant, empreint d'une émotion rare dans le cinéma américain, le tour de force du cinéaste consistant à délivrer cette émotion au travers d'une lumière froide, glaciale, à peine trouée par l'éclat de la chevelure paille de Sissy, jouée par Carey Mulligan, impressionnante.
Lisons le synopsis fourni par le monopolistique (ou quasiment) Allo Ciné :
Le film aborde de manière très frontale la question d'une addiction sexuelle, celle de Brandon, trentenaire new-yorkais, vivant seul et travaillant beaucoup. Quand sa sœur Sissy arrive sans prévenir à New York et s'installe dans son appartement, Brandon aura de plus en plus de mal à dissimuler sa vraie vie... 
Pas de quoi, vraiment, me donner envie de me déplacer jusqu'aux Halles noires de monde où, à la sortie du métro, on slalome pour arriver destination.
Mais il y a ce Fassbender dont on parle beaucoup (je ne l'ai, moi, aperçu que dans Inglorious Basterds de Tarantino) comme étant la révélation du moment, et ce Steve McQueen, aussi noir que son homonyme était blond et pâle, dont je n'ai pas vu Hunger (le scénario m'effrayait et ça m'était recommandé par un ami qui porte aux nues "Irréversible" de Gaspard Noë, c'est dire !) et puis, et puis, je fais, moi, confiance à certains critiques, et voilà que les critiques dont je lis avec intérêt les avis étaient unanimes, pour le coup.
Ne voir dans "Shame" qu'une histoire d'addiction sexuelle pathologique (ça l'est aussi), serait passer à côté de tout ce qui fait la force de ce film absolument novateur, moderne comme l'est la musique de Bach qui le soutient pratiquement de bout en bout, radoterai-je !
Un tâcheron habile (par exemple, au hasard, le Mike Nichols de "Closer") n'aurait su dépeindre la caractéristique principale du personnage de Brandon : perdu dans une addiction incontrôlable, vivant une déchéance qui le bouffe et le bouffera toute sa vie durant, l'homme est l'incarnation même du désespoir absolu ; perçu comme un pervers (il l'est aussi, mais, sans jeu de mot, se débat à l'intérieur du plus vicieux des cercles), nul ne peut, ne pourra, comprendre son atroce souffrance.
Tout au long de la nuit tragique qui conclut quasiment le film, notre homme ira de turpitudes en turpitudes, en un parcours en forme de suicide par overdose de dégoût.
Le personnage de Sissy, la sœur de Brandon qui déboule à l'improviste dans sa vie, découvrant peu à peu l'univers glauque dans lequel évolue un frère qu'elle voudrait protecteur, vit une désespérance tout aussi violente, que Brandon, piégé dans sa toile d'araignée, ne saura mesurer.
La vie peut être ainsi, voyez-vous : drue, cruelle, sans morale, comme l'est un film où, à aucun moment, l'auteur (il n'y a que dans les films "d'auteur", finalement, qu'on sent pareille implication)  ne tente de juger ses personnages, les accompagnant jusqu'au bout dans leur tragique périple, sans juger, non, mais en évitant aussi, soigneusement, la moindre complaisance a contrario des deux autres films cités dans ce billet.
"Shame" est également un film "riche", où chaque scène, chaque arrivée d'un nouveau personnage, apporte quelque chose de nouveau, où les lieux de vie diurnes et nocturnes (boulot, restaurant, appartement, boîte de nuit) "jouent" également leur rôle, ce qui n'est pas une mince affaire.
La musique -c'est un peu mon domaine- l'originale, très épisodique,  celle d'un certain Harry Escott, en tapis de cordes obligés est d'humilité, finalement : que voulez-vous, devant J.S. Bach joué par Glenn Gould, aimé et compris par McQueen, on s'écrase.
Film essentiel.

Trop court, hélas, un extrait de l'une des scènes les plus "cogne au cœur" du film :

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